CHANGEMENT DE DESTINATION ET CHAMP D’APPLICATION DES AUTORISATIONS D’URBANISME : LES DESTINATIONS ET SOUS-DESTINATIONS DES ARTICLES R. 151-27 ET R. 151-28 DU CODE DE L’URBANISME SONT OPPOSABLES MEME DANS LE CAS D’UN PLU NON ALURISE (CAA PARIS, 20 MAI 2021, N° 19PA00986)
Les PLU non alurisés (comme celui de Paris) restent régis, en application de l’article 12 du décret du 28 décembre 2015, par les dispositions de l’ancien article R. 123-9 du Code de l’urbanisme qui énumérait neuf destinations.
Les articles R. 421-14 et R. 421-17 relatifs aux autorisations requises sur les constructions existantes (respectivement permis de construire et déclaration préalable) visent quant à eux, dans leur rédaction en vigueur depuis le 1er janvier 2016, les nouvelles destinations et sous-destinations énumérées aux articles R. 151-27 et R. 151-28 du Code de l’urbanisme, sans considération de la circonstance selon laquelle le PLU est alurisé ou non.
L’administration avait alors pris l’initiative, en 2016, de modifier les formulaires de permis de construire pour y introduire deux tableaux différents :
- Rubrique 5.5 : « Destination des constructions et tableau des surfaces (uniquement à remplir si votre projet de construction est situé dans une commune couverte par un PLU ou un document en tenant lieu appliquant l’article R. 123-9 du Code de l’urbanisme dans sa rédaction antérieure au 1er janvier 2016) ».
- Rubrique 5.6 : « Destination, sous-destination des constructions et tableau des surfaces (uniquement à remplir si votre projet de construction est situé dans une commune couverte par le règlement national d’urbanisme, une carte communale ou dans une commune non visée à la rubrique 5.5) ».
Un parlementaire avait pu observer que ces formulaires n’apparaissaient pas conformes à l’état du droit. Il avait donc demandé à l’administration de « confirmer que la notion de changement de destination prévue aux articles R. 421-14 c) et R. 421-17 b) du code de l’urbanisme s’applique désormais uniformément sur l’ensemble du territoire national, et cela sans égard pour la nature et la date d’approbation du document local d’urbanisme » (Question écrite sans réponse n° 101587, 20 décembre 2016).
Une partie de la doctrine s’était également positionnée en faveur d’une application immédiate des nouvelles dispositions des articles R. 421-14 et R. 421-17 du Code de l’urbanisme, y compris dans les communes non couvertes par un PLU alurisé (J.-Ph. Meng, La recodification et le nouveau contenu du PLU : Defrénois, 2016, p. 616 – et de manière plus nuancée : G. Daudré, F. Polizzi, Les changements de destination et d’usage en question : Defrénois n° 17, 2017, p. 31).
Une tendance jurisprudentielle selon laquelle les destinations de l’ancien article R. 123-9 demeurent seulement applicables pour l’application des règles du PLU avait également commencé à se dessiner (CAA Lyon, 2 oct. 2018, n° 17LY01129).
Malgré cela, les services instructeurs ont continué de faire application des articles R. 421-14 et 421-17 du Code de l’urbanisme, dans leur rédaction antérieure au 1er janvier 2016, pour apprécier le champ d’application des autorisations d’urbanisme, au regard des neuf destinations de l’ancien article R. 123-9.
Pour ce qui concerne la ville de Paris spécifiquement, son service instructeur s’appuyait sur un jugement selon lequel les changements de destination devaient être appréciés au regard des neuf anciennes destinations pour déterminer le champ d’application de l’autorisation d’urbanisme requise (TA Paris, 7 févr. 2019, n° 1719507).
C’est justement ce jugement du 7 février 2019 qui vient d’être annulé par la cour administrative d’appel de Paris, qui a retenu que :
« 4. Si l’article 12 du décret 28 décembre 2015 susvisé prévoit que » Les dispositions des articles R. 123-1 à R. 123-14 du code de l’urbanisme dans leur rédaction en vigueur au 31 décembre 2015 restent applicables aux plans locaux d’urbanisme dont l’élaboration, la révision, la modification ou la mise en compatibilité a été engagée avant le 1er janvier 2016 « , tout en permettant à leurs auteurs d’opter, par délibération expresse, pour la soumission au nouveau régime, cet article, ainsi qu’il résulte de ces termes mêmes, ne concerne que le maintien des règles relatives à l’élaboration et au contenu des plans locaux d’urbanisme, et non le maintien en vigueur des dispositions de l’article R. 421-14 relatives aux autorisations d’urbanisme, dans leur rédaction antérieure au 1er janvier 2016.
5. Il résulte de ce qui précède que la ville de Paris, dont le plan local d’urbanisme a été adopté en juillet 2016, ne pouvait se fonder, nonobstant la circonstance que ce plan avait été mis en révision avant le 1er janvier 2016, sur les dispositions de l’article R. 421-14 dans leur rédaction en vigueur au 31 décembre 2015, lesquelles renvoyaient à l’article R. 123-9 du code de l’urbanisme qui distinguait, parmi les destinations les activités de commerce de celles d’artisanat. En conséquence, saisie de la demande de la société requérante, et alors que la modification projetée d’une boucherie en commerce ne relevait plus, contrairement à ce qu’il en était dans l’état du droit antérieur au 1er janvier 2016, d’un changement de destination, les articles R. 151-27 et R. 151-28 regroupant désormais au sein d’une même destination le commerce et l’artisanat, le maire de Paris ne pouvait légalement s’opposer à la déclaration préalable au motif que les travaux projetés nécessitaient un permis de construire. » (CAA Paris, 20 mai 2021, n° 19PA00986)
Il en résulte que :
- les neuf destinations de l’ancien article R. 123-9 restent valables pour l’application des règles édictées par les PLU non alurisés ;
- les changements de destination ne peuvent en revanche s’apprécier qu’au regard des nouvelles destinations et sous-destinations énumérées aux articles R. 151-27 et R. 151-28 du Code de l’urbanisme.
Cet arrêt ne change rien pour les constructions nouvelles qui restent entièrement régies par les neuf destinations de l’ancien article R. 123-9 dans le cas du PLU non alurisé. Ainsi, la destination déclarée par le pétitionnaire dans le formulaire de permis de construire, au regard des définitions apportées par le règlement du PLU, constituera la destination de référence de la construction une fois l’autorisation délivrée. Les règles d’urbanisme attachées à la destination retenue, sont opposables au projet.
Pour ce qui concerne les projets portant sur les constructions existantes en revanche, les choses sont désormais beaucoup plus complexes, car le champ d’application de l’autorisation d’urbanisme requise (permis de construire, déclaration préalable ou aucune autorisation) devra être déterminé au regard des 5 destinations et 21 sous-destinations énumérées aux articles R. 151-27 et R. 151-28, selon les définitions apportées par l’arrêté du 10 novembre 2016. Mais il n’en demeurera pas moins que les définitions apportées par le PLU non alurisé pour chacune des neuf anciennes destinations et les règles qui en découlent resteront opposables aux projets.
Le rapporteur public qui a conclu à l’annulation du jugement du 7 février 2019 est bien conscient de la difficulté :
« Ce qui signifie qu’à Paris, les destinations à prendre en compte pour déterminer la procédure à suivre pour le pétitionnaire diffèrent des destinations sur lesquelles le service instructeur peut être amené à apprécier le respect par le projet des règles de fond. Les destinations et sous-destinations en vigueur depuis le 1er janvier 2016 n’interviennent donc à Paris que pour déterminer la catégorie d’autorisations d’urbanisme requise, pas pour apprécier le respect par les travaux des règles de fond du PLU. Cette distorsion n’est pas très heureuse, elle ne facilite pas la tâche des services et des pétitionnaires, mais elle ne pose pas non plus de problème tel qu’il y aurait matière à vous proposer une lecture contra legem du décret n°2015-1783 du 28 décembre 2015. »
Si l’on reprend les faits de l’arrêt précité, à savoir la transformation d’un artisanat en commerce à Paris, il n’y a pas de changement de destination, ni de sous-destination, au regard des nouveaux textes puisque ceux-ci sont désormais regroupés sous une seule et même sous-destination, à savoir « artisanat et commerce de détail », au sein de la destination « commerce et activités de service ». Il en résulte que le projet du requérant est dispensé de toute autorisation d’urbanisme.
Cette dispense d’autorisation pourrait toutefois poser une difficulté dans le cas où le local considéré se situe dans un site de protection de l’artisanat et de l’industrie tel que délimité par le PLU de Paris, dans lequel la règle suivante s’applique :
« Sur les sites de protection de l’artisanat et de l’industrie repérés sur l’atlas général, la transformation de surfaces d’artisanat* ou d’industrie* en une destination autre que l’artisanat ou l’industrie est interdite ; en cas de reconstruction, la proportion de surfaces d’artisanat* ou d’industrie* dans la surface de plancher totale ne peut être inférieure à la proportion initiale ».
On se retrouve ainsi dans l’hypothèse où un projet jadis soumis à autorisation d’urbanisme en est désormais dispensé du fait qu’il ne constitue plus un changement de destination ni même de sous-destination, alors même que ce projet implique des travaux de modification de structures porteuses ou de la façade du bâtiment.
Il peut être également cité de nombreux exemples de projets qui impliquaient jadis un changement de destination – et donc a minima une déclaration préalable – et qui impliqueraient désormais, en application de l’arrêt précité, un changement de sous-destination. De tels projets seraient dispensés de toute autorisation d’urbanisme dès lors qu’aucuns travaux de modification de structures porteuses ou de la façade du bâtiment ne sont prévus, ce qui n’est pas sans poser de difficulté pour l’application des règles d’urbanisme.
On peut citer le cas d’un établissement de santé que l’on voudrait transformer en bureaux administratifs (deux sous-destinations d’une même destination au sens du nouveau régime). Une telle opération donnerait pourtant lieu, au regard des dispositions du PLU de Paris, à la disparition d’un Cinaspic et donc à la suppression de SPH pourtant proscrite. On peut également citer le cas de la transformation d’une résidence service à caractère social (Cinaspic selon le PLU) en immeuble de logements (là aussi deux sous-destinations d’une même destination) qui, toujours en application des règles du PLU, devrait donner lieu à la réalisation de logements locatifs sociaux.
Dans tous ces cas, et sans doute bien d’autres, il est donc désormais impossible pour l’autorité compétente de s’opposer à un projet susceptible d’entrer en contradiction avec les règles du PLU, si tant est qu’elle en ait connaissance. Pour autant, même si un projet est dispensé de toute autorisation d’urbanisme, la violation d’une règle d’urbanisme édictée par un PLU constitue en tout état de cause une infraction pénale.
Il convient également d’être attentif au cas de figure dans lequel un projet donne lieu à un changement de destination ou de sous-destination parmi celles énumérées dans les nouvelles dispositions qui, lorsqu’il s’accompagne de travaux ayant pour effet de modifier les structures porteuses ou la façade du bâtiment, est soumis à permis de construire alors que le même projet n’aurait pas constitué un changement de destination au regard de celles énumérées dans le PLU de Paris. A défaut de permis de construire dans ce cas de figure, les travaux devront donc être considérés comme ayant été effectués irrégulièrement de ce seul fait, du seul fait de l’absence de permis de construire qui était pourtant requis.
Enfin, dans le cas où la transformation de l’immeuble est soumise à permis de construire au regard des nouvelles dispositions, l’arrêt commenté ne remet probablement pas en cause la nécessité, dans les communes couvertes par un PLU non alurisé, de renseigner la rubrique 5.5. du formulaire intitulée « Destination des constructions et tableau des surfaces (uniquement à remplir si votre projet de construction est situé dans une commune couverte par un plan local d’urbanisme ou un document en tenant lieu appliquant l’article R.123-9 du code de l’urbanisme dans sa rédaction antérieure au 1er janvier 2016) », et donc de s’en tenir aux neuf anciennes destinations tant pour la destination d’avant que pour celle d’après, même si les destinations retenues pour apprécier le champ d’application du permis de construire sont celles figurant dans la rubrique 5.6 du formulaire intitulée « Destination, sous-destination des constructions et tableau des surfaces (uniquement à remplir si votre projet de construction est situé dans une commune couverte par le règlement national d’urbanisme, une carte communale ou dans une commune non visée à la rubrique 5.5) ».
On pourrait alors se retrouver dans la situation cocasse où la destination déclarée dans le formulaire reste identique avant comme après les travaux alors que, au regard des nouvelles dispositions, il y a bien un changement de destination.
Sébastien LAMY-WILLING